Thermae Romae et Pline, deux séries références sur l’Antiquité romaine qui viennent du Japon

La mangaka Mari Yamazaki aime l’Antiquité romaine. Elle le prouve avec brio en réalisant deux séries phares du 9e art, situées pendant les deux premiers siècles de l’Empire. Thermae Romae et Pline, aussi exigeantes sur le fond que sur la forme, proposent une immersion en profondeur dans la société romaine de cette époque. Deux très belles réussites.

De prime abord, la constatation peut surprendre : deux des meilleures séries de bande dessinée sur l’Antiquité romaine sont des mangas. Mais si Thermae Romae et Pline sont des références, c’est que leur autrice, Mari Yamazaki, est la plus italienne des Japonaises. Tout démarre en 1981 alors qu’elle a 14 ans, lors d’un voyage d’agrément en Europe de l’Ouest, pendant lequel elle rencontre un professeur d’art italien. Trois ans plus tard, celui-ci invite l’adolescente à venir en Italie. Elle y reste 11 ans, y étudiant notamment la peinture aux Beaux-arts de Florence. Et y rencontrant celui qu’elle va épouser, le petit-fils du professeur d’art. De retour au Japon, elle donne des cours d’italien. Puis après un long séjour à Chicago, Mari Yamazaki retourne en Italie pour vivre à Venise. Sa proximité avec la culture italienne n’est donc plus à démontrer.

Ainsi, la sortie du tome 1 de Thermae Romae (2008 au Japon. 2012 en France) n’est pas une surprise pour qui la connaît bien. Le sujet est toutefois assez pointu. Le personnage principal, Lucius Modestus, architecte de son état, vit sous le règne de l’empereur Hadrien (117-138). Spécialisé dans la construction de thermes, il peine à séduire les habitants de Rome avec des idées conservatrices piochées dans le passé. Mais un jour, alors qu’il se baigne dans un bassin, Lucius est à deux doigts de se noyer et parvient de justesse à retrouver la surface. Quelle n’est pas sa surprise de reprendre ses esprits dans un lieu étrange qu’il ne connaît pas. Par un phénomène inexplicable, le jeune architecte a été transporté dans le Japon du XXIe siècle. Il y découvre le raffinement nippon pour le bain. Revenu à son époque après s’être évanoui, Lucius peut adapter les innovations qu’il a vues au Japon avec les moyens techniques de son temps. Ces idées nouvelles lui valent un succès fulgurant auprès de ses contemporains.

Les différents chapitres de Thermae Romae sont conçus sur le même schéma narratif. Cependant, pour éviter la lassitude d’un modèle récurrent, Mari Yamazaki a l’habileté de plaquer sur ce canevas un fil rouge plus global qui concerne la vie de Lucius et l’évolution de sa carrière. L’architecte est ainsi repéré par Hadrien qui le prend à son service. Bien documentée, la série Thermae Romae décrit en détail le rapport des Romains aux bains Choix judicieux de la part de la dessinatrice, qui dresse le parallèle avec la tradition japonaise et donne ainsi une grande cohérence aux allers-retours dans le temps et l’espace effectués par Lucius Modestus. De même, Mari Yamazaki souligne que le culte du phallus est commun aux deux civilisations, pourtant si éloignées. Ces lumineuses concordances font de Thermae Romae une série intelligente, rehaussée d’une bonne dose d’humour, capable de distiller un très important volume d’informations sans que la lecture soit fastidieuse. Qu’elle ait été vendue à plus de 10 millions d’exemplaires dans le monde n’est donc pas surprenant.

En 2014, un an après la fin de la publication de Thermae Romae au Japon, Mari Yamazaki s’engage dans une autre biographie, cette fois d’un Romain célèbre, Pline l’Ancien. Après un architecte féru de sciences appliquées, la dessinatrice s’attaque à un encyclopédiste, curieux de tout, avide de comprendre la mécanique de la nature. Pour cela, elle s’associe au dessinateur Miki Tori afin de réaliser une série à quatre mains. A Mari la charge du scénario et des personnages, à Miki celle des décors. L’excellence du résultat saute aux yeux tant les détails abondent dans les arrière-plans. L’intrigue principale, la vie de Pline, s’inscrit pleinement dans le quotidien du 1er siècle ap. JC. Outre les bâtiments, les mosaïques et les objets en tout genre, il n’est pas rare de voir quelques graffitis sur les murs. Pline va encore plus loin que Thermae Romae dans la description de la société romaine. Les usages, la sociabilité, l’éducation y sont abondamment évoqués. La façon de manger, de dormir, d’aller au lupanar, de voyager. Les marchés, les écoles, les écrivains publics, l’immersion est profonde.

Toutefois, le fil rouge de Pline est bien la vie du naturaliste, qui trouve la mort près de Pompéi dans l’éruption du Vésuve. Le sujet est vaste et passionnant. Son Histoire naturelle, une somme de 37 volumes qui va bien au-delà des seules sciences naturelles, est une référence qui ne sera pas détrônée avant longtemps. Mari Yamazaki se délecte d’imaginer comment fonctionne le cerveau de Pline, sa soif d’informations, son sens de l’observation continuellement en éveil. En suivant le naturaliste, c’est un état de la science au 1er siècle après JC qui se dessine. Avec sa part de légendes et de superstitions. La mangaka n’hésite pas à monter un Pline à la fois cartésien avant l’heure et ouvert aux explications les plus farfelues. Le fantastique fait ainsi de constantes apparitions dans la série. Pline s’intéresse à tous les sujets, en s’inscrivant dans une filiation avec les auteurs grecs comme Anticlide, Strabon ou Diodore de Sicile.

Le contenu des onze tomes de Pline (série en cours) est foisonnant. Son amitié avec Sénèque fait pencher la série du côté des philosophes (Pline lit notamment Epicure). Mais que dire alors de sa proximité avec Néron, jeune empereur de 24 ans ? Mari Yamazaki s’amuse à mettre en perspective l’intégrité du scientifique et le panier de crabes des intrigues de cour. Les manœuvres de Poppée, la faiblesse de Néron, les destins tragiques d’Agrippine et Octavie ponctuent le récit de scènes de tension. L’affection qu’éprouve l’Empereur envers Pline n’est pas franchement une bonne nouvelle pour le scientifique. Trouver des excuses valables pour refuser les invitations de l’homme le plus puissant (et le plus imprévisible) de l’Empire est un jeu qui peut vite devenir dangereux. Mari Yamazaki se plait à opposer les contingences de la politique à la liberté de l’expérimentation scientifique. Une bonne idée qui se greffe à l’intrigue principale sans la parasiter.

Quoi de mieux qu’une bande dessinée historique pour aborder une période que l’on connaît mal ? Les séries Thermae Romae et Pline ont ceci en commun qu’elles allient à une intrigue captivante la description minutieuse de la société romaine sous les règnes de Néron (seconde moitié du 1er siècle ap. JC) et Hadrien (première moitié du 2e siècle ap. JC). Une lecture indispensable pour qui recherche une introduction tout en finesse et ingéniosité à deux époques de l’Empire romain.